17/10/2015
La VAE (la validation des acquis de l’expérience) propose un renversement de tendance en offrant aux salariés les moyens de se réapproprier les bénéfices personnels de leur parcours professionnel (Alves et Zannad, 2004 ; Ballet, 2009). Des spécialistes du domaine pointent les réticences des entreprises à s’engager dans un dispositif qui apparaît souvent comme incompatible avec les modalités organisationnelles de gestion des carrières (Alves et Zannad, 2004 ; Triby, 2005). De fait, la VAE relève plus souvent d’une prise d’initiative des individus que des entreprises (Zarifian, 2001). La motivation du candidat est donc une donnée centrale du dispositif de VAE.
Depuis la promulgation de la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 inaugurant le dispositif de VAE, les auteurs abordent différemment cette question de la motivation. Certains s’inscrivent dans une approche sociocognitive pour identifier les facteurs de motivation et de démotivation (Pinte et al, 2008). Triby (2005b) revisite la question des motivations du candidat sous l’angle d’une approche économique et sociale du diplôme. L’expérience et le diplôme ne sont plus seulement des acquis individuels mais des éléments d’unité sociale, instruments de négociation et de régulation salariale, dans les différentes étapes de la vie professionnelle du candidat (Clot et Prot, 2003). La VAE s’inscrit alors dans un processus de reconnaissance de l’expérience comme enjeu de la relation salariale (Grasser et Rose, 2000). « L’expérience n’est plus un acquis personnel ; elle est une substance singulière à la recherche de sa validation sociale » (Triby, 2005b, p. 293). Envisageant la VAE comme un levier opérationnel de la gestion individualisée des carrières, Ballet (2009) rappelle que les premières réussites de VAE et les études à ce sujet (Labruyère et al, 2002) révèlent que les attentes des candidats vont de la reconnaissance officielle des compétences, en passant par la reconnaissance sociale, la mobilité professionnelle à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise et par la possibilité d’un retour en formation.
D’autres auteurs présentent la VAE comme un espace de transformation des représentations mentales que l’individu a de son expérience professionnelle. Cette pratique permet aux individus de relier (Merle, 2006), notamment par l’activité de mise en mots qu’elle implique, leur activité professionnelle quotidienne et la compréhension de l’action (Mayen, 1999). Prolongeant cette idée, Lenoir (2003) présente la VAE comme un outil symbolique de réparation de l’image de soi. L’entrée du candidat dans le dispositif lui permet de restaurer une image valorisante de soi, contribuant ainsi au travail de réparation de la souffrance vécue dans le contexte professionnel.
Les motivations explicites des candidats s’expriment souvent autour d’un souci de reconnaissance d’une expérience ou d’un parcours professionnel (Imbs et Sonnstag, 2007) ou bien encore comme un événement fondateur dans la vie, envisagé comme « un processus de prise de conscience des évènements passés, actuels ou à venir » (Semal-Leble, 2006, p. 70). Dans cette perspective, Aballea (2007) identifie deux logiques différentes : une logique qualifiée de défensive, dans laquelle est recherchée la mobilité professionnelle grâce à un accès simplifié à des diplômes, et une seconde logique stratégique et volontaire, qui relève d’un projet personnel.
Selon nous, il existe des logiques d’engagement dans la VAE inscrites au niveau du contenu, le résultat que les candidats attendent du dispositif (reconnaître leur travail) et/ou inscrites au niveau du processus en tant que transformation personnelle allant du bilan de ce que l’on a construit vers un nouvel état. Bien sûr, les enjeux culturels, économiques et gestionnaires du processus de VAE ne peuvent être négligés ; cependant, il nous semble que dans le dispositif de la VAE, la personne met en jeu son identité personnelle et professionnelle. C’est pourquoi, pour les candidats, la VAE est plus qu’une simple formalité visant à acquérir un diplôme.
Peu de recherches s’attachent à décrire et à analyser l’investissement psychique du candidat dans le dispositif de VAE. La VAE, c’est s’engager « dans un parcours qui permettra de mieux se connaître pour se reconnaître et se faire reconnaître » (Gagnon, 1997, p. 90). Notre recherche exploratoire nous permet de formuler deux hypothèses. La première est que le dispositif de la VAE est à la fois trouvé (il préexiste au candidat) et créé par les investissements psychiques du candidat. Ainsi, tel candidat investira le dispositif comme le moyen idéal de répondre à sa problématique professionnelle. La VAE est alors investie de tous les espoirs du candidat, au-delà de ce que prévoit le dispositif.). La seconde hypothèse est que ce dispositif est à la fois de l’ordre du contenu en tant que validation de l’expérience et de l’ordre du processus en raison du travail d’élaboration nécessaire pour parvenir à cette validation. Par exemple, fréquemment les candidats font état du double travail qu’ils doivent réaliser pour mener à terme leur demande de VAE. D’abord au niveau du contenu (par exemple des activités de type administratif en rassemblant les justificatifs exigés). Ensuite, au niveau du processus, en menant une réflexion personnelle de type introspective (retour sur eux-mêmes et mise en sens de leur histoire personnelle et professionnelle). Le candidat doit tenir ensemble du « non-processus » (le contenu) et du « processus » (Liétard, 2000).
Ces deux hypothèses s’inscrivent dans le cadre d’une analyse qui affirme le primat du sujet et de sa dynamique. Sans réfuter l’importance d’autres dimensions externes (contexte et perspectives professionnels de la VAE, rôle de l’institution universitaire et des jurys, marché de l’emploi), qui permettent de comprendre l’investissement de la personne dans le dispositif de VAE, nous avons privilégié l’étude des variables internes du sujet. Outre la littérature de référence, et afin de recueillir des données sur la manière dont les candidats s’impliquent, cette contribution s’appuie sur une recherche qualitative menée pendant trois ans dans le cadre d’une pratique de la VAE au sein de deux universités. Notre fil rouge a été de suivre les différentes voies qu’empruntent les candidats pour investir et donner du sens à un dispositif qui, bien que simple en apparence, les mobilise profondément sur le plan cognitif, affectif, imaginaire et identitaire.
Dans une première partie, nous présentons le contexte de la recherche et la méthodologie de recherche mobilisée. Il s’agit d’une approche qualitative qui vise à « comprendre » en acceptant de rentrer dans la logique propre des acteurs sociaux, en prise avec le phénomène étudié (Mucchielli, 1991, p. 12). Dans une deuxième partie, nous développons notre modèle d’analyse en vue de décrire les logiques d’investissement dans la VAE mis en œuvre par les candidats. Notre modélisation revêt trois dimensions. La première dimension consiste à décrire l’objet VAE comme un espace transitionnel en nous référant aux apports de Winnicott (1975). La deuxième dimension concerne la qualification des logiques d’investissement. Enfin, la troisième dimension souligne le côté paradoxal de la transitionnalité.
Enfin, dans une troisième partie, nous présentons une catégorisation des trois dynamiques, la VAE pour étayer la dynamique formative, la VAE comme espace pour penser la séparation d’avec le travail et la VAE comme reconnaissance des pairs, fréquemment rencontrées dans l’analyse des candidatures