28/11/2015
COP 21 Paris- Le Bourget 29 Novembre – 11 Décembre 2015
Contribution d’ECODEV CONSEIL
VILLES DURABLES ET ECONOMIE CIRCULAIRE
Ces deux thèmes sont exposés très synthétiquement par ECODEV CONSEIL, en fonction de ses travaux d’étude et de recherche de ces dernières années.
Ils sont généralement abordés séparément, alors que dans une perspective de moyen terme, l’intérêt va consister à les relier et à souligner combien ils peuvent s’interconnecter.
1/ Commençons par les SMART CITIES : nouvelles perspectives et propositions
Villes intelligentes ou villes durables ?
L’une ne se réduit pas totalement à l’autre ; on le sait bien et les débats abondent dans tous les groupes de réflexion. On tend même aujourd’hui à affirmer que pour être durable (sustainable), la ville se doit d’être « vivable » (comme ne cessent de le souligner Carlos Moreno et beaucoup d’autres), résiliente, c’est-à-dire prête à rebondir, et par conséquent avant tout humaine, dans tous les sens du terme.
Cela étant dit, la rendre interconnectée et plus efficace (par la maitrise des énergies, de la consommation d’eau, la régulation avancée de la circulation – on pense à l’expérience de Santander -, les informations en open source…), c’est aussi contribuer indirectement à cet agrément de vie et mettre à la disposition des citoyens citadins, les « métrocitoyens », toutes les données et repères dont ils ont besoin et leur permettre de leur côté d’en émettre aussi.
Il est toutefois permis d’exprimer des doutes sur l’appétence des habitants des grandes villes pour la mise en premier plan des technologies les plus innovantes à des fins régulatrice de leur quotidien ; observez autour de vous combien de réticences … ; mais les comportements, les sensibilités et les habitudes évoluent.
Il est vrai également que les attaques meurtrières de cette fin d’automne à Paris, à Bamako, à Beyrouth, et antérieurement à Bombay ou Londres, refocalisent l’attention et recentrent les décisions sur l’approche sécuritaire de la ville et de ses espaces publics. La smart city intégrera de plus en plus cette dimension, il y a fort à parier, au nom très certainement de la résilience, de sa capacité à se redresser et à résister aux menaces les plus insensées contre nos démocraties. Ce n’est pas incompatible avec la réaction « terrasses de café autour d’un verre» qui ces derniers temps rallie grand nombre de parisiens.
Au regard des enjeux environnementaux (émissions de particules fines, CO2, CH4, GES, consommation d’énergies fossiles, etc. …), la question la plus cruciale pour nos métropoles européennes, nord-américaines (et de plus en plus chinoises où le parc automobile augmente très rapidement) est celle de la circulation automobile. Malgré toutes les mesures dissuasives, les offres alternatives de mobilité (véhicule électrique, succès des deux roues, renforcement du maillage des lignes de transport en commun …), elle le restera pour les 15 ou 20 prochaines années. Et n’oublions pas que dans les villes moyennes, leurs bassins de vie, dans les métropoles régionales, vivre sans automobile est quasi impossible faute d’alternative, sauf à voir se restreindre comme une peau de chagrin son champ de relations sociales et d’activités personnelles. Par exemple, à Perpignan (120 000 habitants), 70 % des trajets domicile travail s’effectuent en voiture (à l’échelle de la ville et donc plus encore à celle de l’agglomération qui est très étendue).
Et les circulations douces ? Leur part modale progresse dans les grandes villes. Paris intramuros, entre 8h et 9h, près de 2000 vélos /heure quai de Valmy ! Et puis c’est bon pour la santé !
Quelles solutions ?
Aucune à court terme ne s’impose d’elle-même. Même si le parc de véhicules électriques et hybrides parvient à se hausser à environ 20% du parc total d’ici 2030, cela ne suffira pas (il n’est actuellement que de 3%).
Intensifier la multiplication des choix de mobilité et d’interconnexion, retravailler sur le maillage des polarités économiques et des lieux d’emploi (le marché tertiaire s’est beaucoup « recentré » depuis dix ans, la logistique urbaine, du dernier kilomètre conserve de très importantes marges de progrès), rendre le télétravail plus attrayant (réduire le risque d’isolement professionnel lorsqu’il est pratiqué au domicile, le cas majoritaire[1]) en développant des plates formes intermédiaires bien équipées et conviviales sur les nœuds d’interconnexion des lignes de transports ….
Cette ville durable se doit d’être économe dans ses consommations (en matériaux, en énergies, carburants fossiles ou non, eau et en foncier …), et bioclimatique dans ses projets urbains et architecturaux … L’usage des matériaux biosourcés démarre dans la construction et les filières s’organisent (bois, chanvre, lin, paille) mais leur poids n’est pas encore connu (cf. études de l’ARENE Ile de France).
Elle devra également faire évoluer ses infrastructures, ses réseaux, son mode de distribution d’eau, de collecte des déchets … Les « dessous » de la ville sont presqu’aussi importants que ses superstructures bâties et contribuent largement à la formation de plaques de chaleur qui valent aux centres villes des températures moyennes supérieures de plus de 3° en comparaison avec la périphérie. On peut aussi attaquer la question par le « haut », par les toitures terrasses comme cela est souvent mis en avant ...
Quels enseignements des expériences de type « écocités » en recherche de nouveaux modèles ? Comment sortir du stade expérimental à l’échelle de quartiers, de villes nouvelles et d’extensions urbaines, d’approches très ciblée : innovations dans la gestion des déchets, des systèmes d’information des usagers, de l’habitat bioclimatique ... ? Voir les écocités en France, en Irlande, Chine, Maroc et Corée du sud … et changer réellement plus que d’échelle, de système de conception, sans perdre de vue la ville existante et son renouvellement. Londres, Paris, Amsterdam, Copenhague, Berlin ont multiplié les réalisations, les expositions, les city labs, chacune selon ses pratiques, ses choix culturels, ses capacités d’innovation et d’initiative. Les classements ne sont pas convergents : quelle est la plus vertueuse ? Telle n’est pas la question primordiale. Avançons, avançons ensemble !
Nos villes européennes ont en réalité avancé et sont moins certainement exposées aux perturbations climatiques les plus extrêmes (soyons prudents toutefois). L’enjeu essentiel se déplace vers les mégalopoles des pays émergents et leurs contributions aux travaux de la COP 21 paraissent pour le moins en retrait au regard des défis considérables.
Peut-on qualifier de « durable » une ville nouvelle « truffée » d’innovations mais totalement artificielle (et fort peu peuplée à ce jour) comme Masdar à Abou Dhabi ? Qu’en est-il des méga métropoles chinoises ? Regardez Chengdu, naguère une des plus belles villes de Chine, capitale du Sichuan de plus de 9 millions d’habitants, sans parler un peu plus au sud des 30 millions d’habitants de Chongqing ; univers de béton qui avancent, hyperdenses et « compactes », sur des terres fertiles, et déstabilisent les modes de vie et activités, notamment agricoles, villageois traditionnels. En contrepartie il est vrai qu’on y replante massivement des arbres, qu’on récupère presque tout, que l’on recycle y compris par l’économie informelle et le virage des énergies renouvelables est pris (valorisation énergétique de la biomasse avant tout).
Un espoir pour les métropoles des pays dits émergents ? Certains ont d’ailleurs largement émergé et se sont engagés dans la course au rattrapage de nos niveaux de vie.
Peut-on dire que cette ville durable de demain se doit aussi de fonctionner, c’est-à-dire de produire biens et services, d’innover, consommer, en « économie circulaire » ?
La communication politique commence à intégrer cette dimension. Quel sens lui donner en économie réelle ? Quel est le chemin à parcourir ? N’est-ce pas un processus long, à construire pièce par pièce, même si l’on ne part pas tout à fait de zéro … Que « produit » encore la grande agglomération urbaine qui soit susceptible de « circularité » ? Les « utilities » (énergies, matériaux, traitement de l’eau …), les biens industriels et composants résultant de process complexes et très technologiques, et plus traditionnellement produits de la confection et de la mode, biens alimentaires … Mais l’essentiel est largement dématérialisé, design, logiciels, créations numériques, multimédia : notons cependant qu’il y a toujours un substrat matériel (parcs d’ordinateurs, centres de calcul et data centers …). Ces derniers se sont d’ailleurs engagés dans des expériences intéressantes de recyclage de la chaleur dégagée…
2/ L’ECONOMIE CIRCULAIRE : Les leviers ; vers des projets territoriaux plus intégrés (schémas territoriaux pour l’économie circulaire).
La bonne échelle, c’est la grande échelle !
On le vérifie bien en observant comment le site pionnier de Kalundborg au Danemark a évolué dans le temps, s’est enrichi et élargi. Comment évaluer la progression de « circuits » vertueux ? Quels indicateurs de circularité adopter, car rien n’est encore bien établi sur ce plan ? Or c’est tout à fait nécessaire si l’on veut apprécier la valeur ajoutée effective de la démarche adoptée, avec des indicateurs de performance suffisamment globaux.
L’Economie circulaire, c’est en réalité un processus d’apprentissage de nouvelles pratiques productives, de sourcing, et de conception même des produits et des services (des services qui permettent de les diffuser) « sans trop tirer » en amont sur les ressources …. Et ses étapes sont multiples, locales, imbriquées, et appréhendent des implications plus systémiques, beaucoup larges et complexes ; comment aller plus loin, plus vite dans la mise en pratique?
Les dix commandements de l’économie circulaire !
1°/ Identifier les projets cibles susceptibles d’impacts sensibles et visibles à relativement court terme.
2°/Rassembler les opérateurs pertinents et qualifiés (publics mais aussi privés, associatifs …).
3°/ Travailler en séquences (au plan spatial, au plan temporel) et non au « coup par coup », en s’appuyant sur des « démonstrateurs » en grandeur réelle, susceptibles à leur tour d’essaimer (voir ADVANCITY)[2] à l’échelle d’une aire métropolitaine étendue …
4°/ Des initiatives en boucles : un circuit d’acteurs économiques qui s’auto fournissent (en matières, fluides, chaleur, énergies …) à l’échelle d’un territoire local, d’une zone d’activités, d’un bassin, d’une agglomération, d’une vallée, comme celle de la Seine Aval, par exemple et optimisent les flux et stocks de matières recyclables, de matériaux de construction, de foncier ….). C’est la version la plus simple.
5°/ « Vers un métabolisme régional ». Avec des « super boucles », c’est-à-dire des boucles locales interconnectées ! Exemple, en Wallonie (démarche NEXT). La publication de l’IAU IDF (Economie circulaire et écologie industrielle) évoque également cette configuration en multiples anneaux à l’échelle de l’Ile de France.
6°/ Des « hyper boucles » tissent un maillage étendu. Une logistique intermédiaire ne devient-elle pas alors nécessaire ? Avec des « bourses de ressources » et des lieux d’échanges ? Aussi dans le domaine des services, qui reste à défricher dans sa complexité.
7°/ Un modèle économique à promouvoir pour que l’Economie Circulaire parvienne à s’autofinancer et devenir un marché à part entière.
8°/ Des adaptations vont être nécessaires dans le domaine de la fiscalité (Tva à taux réduit, fiscalité locale modulée) et des transports de marchandises (logistique urbaine, courtes distances …).
9°/ Cibler local, oui, mais raisonner plus global (pour envisager des filières européennes et des surtout des coopérations technologiques à cette échelle!).
10°/ Quelle gouvernance ? La question est incontournable, pour peu que le terme renvoie avant tout à la recherche d’un processus d’organisation, de gestion et de décision qui concilie à la fois efficacité et ouverture à une gamme large d’intervenants. La région parait le bon niveau, relayé (pour la France), par les métropoles et agglomérations. Et acteurs de l’industrie et de la recherche et développement doivent pouvoir y jouer un rôle clé, associant ou suscitant l’association de consortiums d’entreprises – comme le pôle de déconstruction de Roanne, ou bien encore les consortiums scientifiques portés par l’Ecole des Mines (autre exemple, le consortium de l’économie circulaire mis en place à l’occasion de l’Expo universelle de Milan).
Les 5 leviers pour l’économie circulaire :
- La perspective de l’épuisement des ressources et les tensions subséquentes (prix, conflits) joue comme facteur accélérateur (voir les initiatives japonaises pour l’utilisation maitrisée des terres rares).
- Des démarches d’innovation (voir les PIA, les appels à projets, français et européens, ceux de la Banque mondiale et du PNUD…).
- Les comportements de consommations responsables (des ménages, des administrations et des entreprises) et les durées d’usage (réparer plutôt que remplacer).
Les 3 défis :
- Des contradictions (réemploi / nouvelles normes …) ; voir pour l’automobile, la construction de logements et bureau : n’accélère-t-on pas le risque d’obsolescence ?
- Quid d’un cadre législatif et réglementaire, aujourd’hui absent ou très fragmentaire à la différence de pays comme le Japon, l’Allemagne, les Pays-Bas et la Chine ? Un cadre pour les initiatives territoriales (par exemple, élaboration de schémas territoriaux pour l’économie circulaire : bilan prévisionnel matières et ressources, gestion des flux, R&D, réseaux d’acteurs -un outil possible en constituant des GIPMEC (groupements d’intérêt public pour l’Economie circulaire …) - .
- Economie circulaire et création d’emplois ? Un sujet en réalité complexe et des estimations sans doute très optimistes : en changeant de modèle économique, on réaffecte les emplois, on transforme les emplois ; mais dégage-t-on avec l’économie circulaire un solde nette globalement et très significativement positif ? Cela reste à élucider et dépende de la manière dont l’économie de la fonctionnalité, qui induit une offre nouvelle de prestations de services, pourra se développer! Un enrichissement du contenu des emplois, au-delà des métiers du recyclage que l’on connait aujourd’hui, certainement, et avec des besoins nouveaux de compétences.
Gagner du temps en combinant nos deux thématiques aux bonnes échelles territoriales : est-ce suffisant globalement au regard des enjeux de la planète et de son réchauffement accéléré ? Non, sans doute dans cette course contre la montre ; il n’y a guère d’autres choix que d’avancer à grands pas sur tous ces fronts !
Et à l’échelle des Etats , d’affirmer leurs objectifs et de rechercher, même régionalement (au sens des continents) des voies de coopération, des partenariats technologiques et financiers.
Tous nos souhaits pour la réussite de la vingt et unième Conference of the Parties !
Jean-Louis Husson
ECODEV CONSEIL
28 novembre 2015
Nord du Groenland : le glacier Zachariae risque de s’affaisser à très court terme : conséquence, le niveau des océans pourrait augmenter de 50 cm !!
Version anglaise + court résumé en chinois sont prévus dans les prochains jours.
Quelques-uns de nos travaux et études (1):
- Le cluster Descartes, cluster de la Ville durable : quelles filières économiques, quels acteurs industriels ? Descartes Marne Vallée, pôle scientifique et technologique parviendra-t-il à polariser les énergies et les investissements pour s’affirmer comme référence mondiale ?
- La filière de l’efficacité énergétique en Seine Aval et aux Mureaux …
- Les éco-industries en Ile de France : c’était une première vision panoramique, il y a plus de 10 ans. Les filières se sont clarifiées et quelque peu organisées.
- Les éco-activités de la Loire (Rhône Alpes), avec zooms sur la dépollution des sols.
- Une expérience (en amont) d’économie circulaire dans l’Autunois Morvan (Bourgogne) : le recyclage des matières plastiques, levier du développement local ? en collaboration avec RUDOLOGIA et le CEREMA. Rebondissement deux ans plus tard, en ciblant avec les entreprises, très engagées, des types de déchets plus précis et, en aval, de nouveaux thèmes d’application de ces « matières premières secondaires ».
- Les sites franciliens de la logistique urbaine, contribution au groupe de travail régional.
- Consultables sur demande (ecodev@aol.com)
[1] 64% des salariés en télétravail regrettent de ne pas côtoyer d’autres professionnels et 38% se sentent isolés (selon un récent sondage de REGUS).
[2] Urbanwiki®, une plate-forme collaborative inédite qui rassemble les nouveaux savoirs, expériences et méthodes en matière d’innovations urbaines afin de les mettre à disposition et au service de tous les acteurs de la ville (Entreprises, collectivités locales, aménageurs, usagers de la ville, chercheurs …) tant pour la gestion des services urbains (déchets, eau, énergie, transport, …) que les projets de construction et d’aménagement.
Objectif : constituer un carrefour planétaire des innovations urbaines et faciliter les expérimentations et les démonstrateurs sur les territoires par l’échange de bonnes pratiques et le recensement des écueils à éviter.